Les médias alternatifs

Dans un paysage médiatique souvent contrôlé par quelques grands groupes, d’autres voix essaient de se faire entendre. Des voix différentes, parfois critiques, souvent engagées. Elles passent par des blogs, des radios locales, des chaînes YouTube ou des journaux indépendants. On les appelle : les médias alternatifs.

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Les médias alternatifs, une histoire de longue date 

S’ils continuent à faire parler d’eux avec leur façon de traiter l’information à la marge, les médias alternatifs ont émergé il y a près de 60 ans en France, et ils étaient bien différents de ceux que l’on connaît aujourd’hui. Jocelyn Peyret, auteur et journaliste, a longtemps baigné dans ce milieu. Il revient sur cette chronologie des médias alternatifs. 

Frise chronologique des
médias alternatifs 



1967

C’est l’année où le tout premier journal pionnier dans la presse alternative va émerger en France. Il s’appelle Le Quetton, et contenait un fourre-tout d’informations un peu révolutionnaire, sur la société avec une approche décalée et artistique. Le modèle du Quetton était grandement inspiré de ce qu’il se faisait outre.

1970

Il poursuit en disant qu’il y avait un monopole avec seulement la voix de l’état qui s’exprimait dans les années 70, et cette presse alternative venait tout changer par son indépendance. L’auteur, qui a notamment travaillé sur une cartographie des médias alternatifs dans le Grand Est, qualifie les journaux comme Le Quetton de “contre-information”. La frontière entre tous ces termes (contre-information, alternatif, presse “pas pareille”, indépendante) est très mince, mais ils sont souvent regroupés dans le même panier.

1976

D’autres journaux ont suivi le mouvement après Le Quetton, notamment au cours d’un événement politique majeur dans l’histoire du pays : Mai 68. Le mouvement va lancer plusieurs journaux, qui s'inscrivent dans la lignée de l’événement avec par exemple Le Parapluie ou Le Tout. Une nouvelle vague de dessinateurs a émergé également, laissant libre cours à la créativité d’artistes talentueux sur le papier. Beaucoup de journaux indépendants émergent ensuite, puisqu’on n’en dénombrait pas moins de 500 en 1976. Ces années étaient marquées par les mouvements militants souvent omniprésents, donc ça n’avait rien d’étonnant.

1981

Avec l’élection de Mitterrand en 1981, c’était une victoire pour les journaux de contre-information qui allaient être mis en pause. Ils vont revenir dans les années 90 lors de la guerre du Golfe, avec des images souvent manipulées, et une vérité qu’il fallait rétablir. Des titres comme Fakir vont apparaître, et d’autres comme Charlie Hebdo vont faire leur retour. La presse indépendante va gagner en reconnaissance, et jusqu’à aujourd’hui elle va être marquée par une grande instabilité. Les titres ont souvent vocation à apparaître, puis disparaître par manque de moyens financiers. On trouve de la presse alternative pour tous types de domaines aujourd’hui, et les titres ne cessent de fleurir. Pour une durée indéterminée malheureusement.

« Coop-médias », la coopérative citoyenne des médias alternatifs


Le 9 octobre 2024, le monde de l’économie sociale et solidaire (ESS) et celui des médias indépendants se réunissaient à l’Académie du climat, à Paris, pour lancer la coopérative Coop-médias. L’objectif de cette initiative était de trouver des financements et de créer un groupement de médias alternatifs pour faire face à la concentration de la presse.



Lucie Anizon, directrice générale de Coop-médias et Robin Saxod, cofondateur de Coop-médias, lors du lancement le mercredi 9 octobre 2024. © Mathilde Picard/Vert

Lucie Anizon, directrice générale de Coop-médias (à droite) et Robin Saxod, cofondateur de Coop-médias, lors du lancement le mercredi 9 octobre 2024. © Mathilde Picard/Vert


« 81% des ventes de presse sont détenues par onze milliardaires. Le paysage médiatique est en crise.» C’est le constat qu’a fait Lucie Anizon, directrice générale de Coop-médias. Pour y remédier, médias indépendants et structures de l'économie sociale et solidaire (ESS) se sont unis afin de créer une coopérative permettant de « donner à la presse les moyens de jouer pleinement son rôle démocratique » peut-on lire sur le site web de la coopérative. L'initiative est née au sein du Collectif pour une Transition Citoyenne, réseau associatif qui s’interroge sur le pouvoir qu’il reste aux citoyens. Dans le domaine des médias s’est fait ressentir un besoin de réappropriation de l’information et d’indépendance.

Ensemble on est plus fort

« Coop-médias crée une passerelle entre deux mondes qui ne se parlaient pas : celui de l’ESS et celui des médias indépendants », a déclaré Mathieu Molard, rédacteur en chef de Streetpress. Une vingtaine de médias et une dizaine d’entreprises de l’ESS sont rapidement devenues sociétaires : Politis, Blast, Médiacités, Reporterre, Vert, Les Jours, Rue 89… Ils partagent tous l’idée que la pluralité des médias s’affaiblit. Coop-médias considère que l’information est un bien commun trop important pour être concentrée aux mains d’une minorité d’individus ou de groupes qui pourraient la dévoyer en faveur d’intérêts économiques, privés ou politiques. Le nom de Vincent Bolloré, milliardaire propriétaire de CNews, Le JDD ou Europe 1 est l’exemple le plus cité.




Des ressources fragiles

Le projet a débuté fin 2024 avec l'ouverture d’une plateforme, sur laquelle chacune et chacun peut prendre une part dans la coopérative, à partir de 100 euros. L’objectif était dans un premier temps de récolter 500 000 euros dans les trois premiers mois. Ces fonds sont redistribués depuis le début de l’année 2025 sous la forme d’appels à projets. Pour renforcer les moyens des journalistes, Coop-médias propose également de mutualiser certains services tels que la comptabilité, la gestion de sites internets, l’aide à la diffusion ou l’aide juridique par exemple.

Un système qui a déjà fait ses preuves ailleurs

Avant une telle initiative dans le monde de l’information, le principe a déjà vu le jour dans d’autres secteurs tels que la mobilité, l'énergie ou la banque. Dans le domaine de l’alimentation, l'enseigne Biocoop est née de la même façon dans les années 1980. Des producteurs et des consommateurs ont agi collectivement pour soutenir une agriculture biologique, aujourd'hui médias alternatifs et entreprises de l’ESS le font aujourd'hui pour défendre une information indépendante. Plus de 650 000 euros ont été collectés par la coopérative Coop-médias. Ils ont pour l’instant permis le financement de premiers médias alternatifs, la mutualisation de services, la création de newsletters ou de magazines, mais aussi de premières actions d’éducation auprès du public. L ’écosystème Coop-médias prend de l’ampleur et espère peser face aux médias traditionnels, avec un objectif : défendre la transparence et le pluralisme des médias.

Informer malgré la censure : les médias alternatifs en résistance en Russie


Nés pour la plupart de collectifs militants, d’initiatives citoyennes ou de journalistes en quête d’indépendance et de liberté, les médias dits “alternatifs” se démarquent par leur modèle économique, les sujets qu’ils traitent et la manière dont ils le font. En France, des plateformes comme Mediapart ou Reporterre jouent ce rôle en enquêtant sur les abus de pouvoir, les inégalités sociales ou les enjeux environnementaux, tout en s’affranchissant des financements issus de grands groupes privés.


Mais la France n’est pas le seul pays où des messages passent aussi par les médias alternatifs. Dans d’autres pays, où la liberté de la presse est menacée, ces médias ne sont pas seulement des voix critiques : ils peuvent être perçus comme des actes de résistance. En Russie, par exemple, malgré une répression forte, des rédactions comme Novaya Gazeta, ou TV Rain continuent à informer, souvent depuis l’exil, sur la guerre en Ukraine ou encore la corruption. Leur engagement, au péril de leur liberté, voire de leur vie, incarne une forme de journalisme de combat.

Fondée en 1993, Novaïa Gazeta s’est imposée comme un pilier du journalisme d’investigation en Russie, dénonçant par exemple la corruption dans le pays. Une ligne éditoriale qui se dresse face aux agissements du gouvernement russe, qui lui a valu de nombreux drames au sein de sa rédaction avec six journalistes assassinés au total. Finalement, le média est menacé en 2022 par le Kremlin, peu après l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, pour ne pas avoir qualifié une ONG citée dans un article “d'agent de l’étranger”. Dans un contexte où le président russe surveille et filtre l’information, toute critique doit être éliminée ou du moins, fermement contrôlée. Ainsi, le directeur de la publication, Dmitri Mouratov, a pris la décision de suspendre la publication après avoir subi de nombreux avertissements pour des manquements aux lois russes. 

S’exiler pour survivre

Mais comment lutter contre la censure, même dans un pays comme la Russie ? Pour pallier la baisse d’activité du média Novaïa Gazeta, il a été décidé d’ouvrir de nouvelles antennes sous le nom de Novaya Gazeta Europe. Localisées en Lettonie, puis en Allemagne et maintenant en France, elles permettent aux journalistes de continuer à réaliser leur travail, à dénoncer, à lancer des enquêtes, sans craindre quotidiennement pour leur vie.
Cette manière de continuer à produire de l’information à distance n’est pas sans rappeler TV Rain : elle aussi victime de la censure au lendemain de l’invasion en Ukraine, la chaîne de télévision a déménagé ses locaux à Riga, alimentant toujours son site internet, et poursuivant ses émissions à la télévision. 

Face à la censure et à la répression, le rôle fondamental des médias alternatifs reste inchangé : informer, enquêter, alerter. Qu’ils soient implantés localement ou contraints à l’exil, ces médias continuent de porter une parole libre, de défendre une information indépendante, loin des intérêts économiques ou politiques. Dans les contextes les plus hostiles, leur existence même devient un acte de résistance, rappelant que la liberté de la presse reste un pilier essentiel de toute société démocratique.