Analyses

À la marge donne la parole à ceux et celles qui fabriquent l'information autrement. Pourquoi ont-ils choisi cette voie ? Comment ces médias fonctionnent ? Quelles en sont les limites ?

Audrey Alvès

organisatrice de la résidence et chercheuse

Audrey Alvès nous parle de la résidence

Audrey Alves, enseignante chercheuse à l’Université de Lorraine, est l’une des instigatrices de la résidence de Mathilde Doiezie. Mais qu’est ce qu’une résidence ? Pourquoi avoir choisi ces thématiques de l’environnement et des médias alternatifs ? Audrey Alves raconte.

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Reporterre : des graines qui portent leurs fruits

Le média militant en faveur de l’écologie et spécialiste des questions environnementales a su bâtir un média reconnu pour sa qualité et serein quant à son avenir. Bâti sur un modèle économique unique, Reporterre a su se développer et recruter bon nombre de journalistes dans sa rédaction.

Un modèle économique peu commun

Une renaissance, bien maîtrisée, tant les tendances du média ne font que s’accroître exponentiellement jusqu’en 2023. Seul bémol de cette 12e année en tant que pure player, le nombre de visites annuelles sur le site, est en baisse d’1 million. Mais l’essentiel pour la pérennité du média n’est pas là. En 2024, le nombre de donateurs a pour la première fois dépassé la barre des 40 000, avec un total de 45 821 donatrices et donateurs sur l’année. Bien qu’unique, c’est ce modèle économique qui leur permet de s’assurer un avenir serein. Après l’exemple de Médiapart, qui a survécu financièrement avec un modèle « tout payant », où les abonnements et achats d’articles étaient presque exclusivement les seuls revenus. Reporterre a lui une vision tout autre de l’information. « D’utilité publique », comme il le définit sur son site internet, le média de l’écologie a fait le choix de mettre la totalité de ses articles, reportages et podcast en accès libre.

Une transparence totale

Mais alors comment font-ils pour payer 20 journalistes et d’autres salariés ? A 97% grâce aux dons. Une somme astronomique de plus de 3 millions atteinte en 2024 - près d’1 million supplémentaire par rapport à 2023, déjà une année record. Les seuls autres revenus : les droits d’auteurs et de publication sur les réseaux sociaux. Un modèle financier qui leur permet d’éviter toute pression d’actionnaires ou de propriétaires, et d’avoir un modèle de traitement d’actualité plus long, comme le font les médias alternatifs en général.
Un des secrets de cette réussite dans un modèle de médias où tant d’autres ont échoué – exemple de Court-Circuit – c’est la transparence. Une clarté totale sur le rapport d’activité, que Reporterre publie sur son site internet tous les ans, mais aussi une ligne éditoriale nette. « L’écologie engage le destin commun, engage l’avenir, sa situation découle largement des rapports sociaux : c’est donc bien une écologie politique et sociale que Reporterre présente et discute »,[1] peut-on résumer.

Mais tous ces résultats sont le fruit d’un travail entamé depuis plus d’une dizaine d’années, durant lesquelles Reporterre a pris le virage numérique et a su adapter ses contenus et son image de média pour perdurer. Investissement dans la vidéo, agrandissement des effectifs, réseau important de pigistes – notamment grâce à un traitement plus que raisonnable, d’après les expériences de Sébastien Bonetti et Mathilde Doeizie – investissement dans le podcast.

Toutes ces graines plantées, ont permis à Reporterre de faire pousser et grandir l’arbre massif qu’est devenu le média de l’écologie, dans le paysage médiatique français.

[1] Extrait de la ligne éditoriale explicitée sur le site reporterre.net




Source : Rapport d'activité 2024 de Reporterre
D'ailleurs pour son enquête, Mathilde Doiezie a réalisé deux articles, dans le cadre de son enquête, pour Reporterre : cliquez ici pour découvrir

Nils solari

Journaliste indépendant

Nils Solaris : À la marge, par choix

Membre actif d’ACRIMED, qui est un observatoire des médias, mais avant tout journaliste indépendant, Nils Solaris porte un regard lucide et incarné sur les médias alternatifs. 


Pour Nils Solaris, les médias alternatifs occupent une position marginale, mais essentielle : un espace où le journalisme tente de renouer avec sa fonction critique, loin des logiques marchandes. « Ce sont des médias qui posent cette question sociale que la grande presse délaisse un peu ou maltraite parfois. » Il évoque notamment les enjeux environnementaux, dont le traitement est souvent biaisé ou superficiel dans les grands médias : « Faute de moyens ou de temps, ces questions sont davantage portées par les médias indépendants, qui sont enclins à poser ces questions. »


Mais cette liberté éditoriale se heurte à une réalité dure. « Il faut s’armer de patience pour s’investir dans une lutte informationnelle déséquilibrée, face à une presse dotée de moyens financiers et matériels bien supérieurs », raconte Nils. L’investissement dans un média alternatif implique souvent un choix de vie, fait de lenteur, d’incertitude, et de compromis personnels. Pour lui, le journalisme alternatif est aussi un lieu de tensions et de cohabitation : « Certains revendiquent le caractère professionnel de leur travail journalistique, et se battent pour affirmer les conditions dans ce sens. Et d’autres, au contraire, revendiquent une forme de militantisme, qui passe souvent par une précarité qui n’est pas voulue, mais qui permet de consacrer ce temps à des fins journalistiques. »


Une précarité qu’il connaît bien, et dont il parle avec franchise. Le membre d’ACRIMED qualifie le journaliste de « laboratoire de précarité »,  qui s’accentue davantage lorsqu’il est dans des médias alternatifs ou indépendants. Si cette démarche peut être riche de sens, elle a aussi ses revers. « Sur le plan symbolique, cette activité peut être gratifiante, mais elle peut être parfois un peu lourde, dans un contexte relativement dystopique. On perd des fois pour d’autres choses sur le plan personnel », explique-t-il.


Quant à la définition même des médias alternatifs, Nils préfère rester prudent :

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La revue Court-Circuit, l’art du grand reportage messin au coin de la rue


Dans le paysage diversifié et parfois complexe des médias alternatifs, une nouvelle revue locale a fait son apparition en mars 2021 : Court-Circuit. Loin de la course à l'information, des titres racoleurs et en recherche de sensationnel, cette publication trimestrielle fondée par le journaliste Sylvain Villaume propose un retour aux sources du reportage journalistique. Couvrant Metz et sa région, elle possède ainsi une forte identité locale et une approche artistique assumée. Un modèle audacieux, qui demeure payant afin de garantir l’absence de publicité. Un format original qui mise sur la qualité et la proximité pour fidéliser ses lecteurs.
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C’est l’histoire d’un mook

Dès sa conception, Court-Circuit se distingue par son format. En effet, l'une des particularités les plus marquantes de la revue repose sur un croisement entre information, littérature et arts graphiques. Trois caractéristiques qui définissent le mook. Nous sommes alors en présence d’un grand format, d'environ 140 pages, qui ne se contente pas de raconter une histoire, mais d'en explorer toutes les facettes. Chaque numéro est dédié à un seul et unique thème, une véritable réinvention du reportage de proximité qui prend le temps de décortiquer son sujet. Les quatre premiers numéros se consacraient ainsi à la nourriture, aux solidarités, au sport et à la jeunesse. La revue explore alors tour à tour des sujets du quotidien, sous tous les angles, en allant à la rencontre des femmes et des hommes qui vivent et font vivre la ville et sa région. « Des acteurs de l’ombre ou figures familières, célèbres ou non, travailleurs du quotidien, artisans de l’économie sociale et solidaire, artistes, sportifs, notables méconnus... » indiquait le site de Court-Circuit, donnant ainsi la parole aux différents acteurs tout en la mettant en images.

Le « grand reportage au coin de la rue » prend ici tout son sens à travers des reportages dessinés, des récits graphiques, illustrés et des portfolios étonnants. Des illustrations foisonnantes et variées, portées par de nombreux illustrateurs issus de l'Ecole des Beaux Arts à Metz, le tout enrichi de photographies percutantes. L'immersion est totale, les enquêtes d'investigation sont menées avec rigueur et les rétrospectives offrent une profondeur historique de qualité. La revue ne s’en cache pas, elle puise son inspiration dans des publications reconnues pour leur qualité narrative et visuelle, une façon de leur rendre hommage. Nous pourrons citer entre autres la revue XXI, Zadig, America, Relief, Feuilleton ou encore La Revue Dessinée.


Pour les lecteurs, le pari de l’indépendance


Dans un monde médiatique instable, où la survie économique est le premier sujet de préoccupation des rédactions, Court-Circuit a fait un choix radical : celui de l'indépendance totale et absolue. Un choix audacieux qui se traduit par une absence de publicité. La revue assume un modèle payant, moyennant 19 euros par numéro. Une somme qui, à l’instar d’autres publications de cette qualité, permet à la rédaction de garantir une liberté éditoriale optimale. En faisant le choix d'acheter et de soutenir un journalisme exigeant, le lecteur rend possible cette indépendance. La distribution de Court-Circuit est, elle aussi, à l'image de son positionnement. Elle se veut locale et artisanale. Les quatre numéros annuels sont disponibles dans les librairies indépendantes de Metz, mais aussi dans des lieux inattendus, en lien avec l'esprit de la revue. Il s’agit de restaurants, de galeries d’art, de magasins de producteurs locaux. Une manière de s'ancrer davantage dans le tissu local et de toucher un public sensible à cette démarche.

Avec des ventes atteignant entre 600 et 900 exemplaires vers 2022, Court-Circuit est bien plus qu'une simple revue. C'est une démarche citoyenne, un pari audacieux sur l'avenir d'un journalisme de qualité, attaché à son territoire et avec la volonté de le raconter par un récit soigné, un regard neuf appuyé par une galerie d'images. L'exemple même du média alternatif, avec une exigence éditoriale et artistique, qui prouve qu'il est encore possible de faire du « grand reportage au coin de la rue » selon les mots de Sylvain Villaume.